LENSEIGNEMENT
UN COURS EN 1572. UN COURS DE LATIN EN 1708.
LA DISPUTE .
LES " EXERCICES EXTRAORDINAIRES " . LES
EXAMENS
Lenseignement
que dispensaient les Jésuites dans leurs "anciens collèges"
était résolument humaniste, faisant la part belle aux lettres
(essentiellement antiques), mais les sciences y trouvaient aussi leur place
; et la Compagnie a compté des génies en Mathématiques
et en Physique.
Au niveau des programmes et des matières enseignées, les Jésuites
navaient rien doriginal sinon quils allaient plus résolument
que dautres dans le sens du grand courant littéraire et scientifique
qui touchait toute lEurope du XVIme siècle.
De la Sixième à la Seconde (Humanités) on faisait ....
de tout ! On apprenait le latin, le français, et le grec. Avignon avait
une spécificité : on y faisait dans toutes les classes de lhistoire
et de la géographie, matières quavait encore renforcées
le P. Bonvalot (célèbre historien) au début du XVIIme siècle.
De même le P. Kircher avait créé une solide tradition pour
les Mathématiques et les Sciences.
Dans toutes les classes, de la 6me à la Philosophie, le latin, le grec
, lhistoire (sainte et profane) et les Mathématiques étaient
au programme, mais les 3 " grandes classes " avaient chacune une spécificité
plus marquée.
En Humanités, on étudiait 3 auteurs : Cicéron, Quintilien,
et Aristote. Mais lexercice privilégié de cette classe était
de faire des vers, en latin et en grec, à tel point quon lappelait
" la Classe de Poésie ".
En Rhétorique, on étudiait 2 auteurs : Sénèque et
Platon, mais on abordait surtout " lEloquence ", la composition
et la déclamation de panégyriques et de discours.
En Philosophie, enfin, on faisait ....de la philosophie, dans léthique
dAristote et de la théologie dans la Somme de St Thomas.
Tout cela navait rien doriginal, et dans tous les collèges
de France et de Navarre on suivait sensiblement le même programme ( souvent
cependant sans histoire ni géographie et avec une seule année
de lettres regroupant Humanités et Rhétorique). Mais les Jésuites
avaient une façon de traiter ces programmes qui leur était particulière.
Prenons par exemple le cas du latin :
Dans la plupart des collèges on était obligé de traduire
une partie des cours car les élèves ne maîtrisaient pas
suffisamment cette langue, ; or si nous regardons le collège dAvignon
au XVIme siècle, on voit que :
- En 6me on parle un peu latin et beaucoup français, et les élèves
se font toute lannée des " Petits Jardins " (des recueils
de vocabulaire usuel).
- En 5me, on donne les phrases et expressions nécessaires pour parler
en classe et seuls quelques cours, comme les Mathématiques, demeurent
en français,
- Et en 4me on ne parle plus que latin avec le professeur et entre élèves.
Les Jésuites avaient une autre spécificité : on donnait
dans leurs collèges des cours de "Bonnes manières et de danse".
Cétait une grande nouveauté et on leur faisait souvent le
reproche de " perdre du temps dinstruction ", à
quoi ils répondaient que : " leur but nétait point
de faire des hommes qui parlassent parfaitement les langues savantes, mais des
hommes qui fassent bonne figure dans le monde, y soient à laise,
et sy créent une carrière utile", moyennant quoi
les élèves du collège dAvignon participaient à
des prestations théâtrales mais aussi à des ballets, et
lon ne concevait pas alors une fête dans lécole sans
"un peu de musique, pas mal de vers grecs et latins et beaucoup de danse"
.
UN COURS EN
1572
A 400
ans dintervalle, on retrouve les mêmes ingrédients dans les
cours donnés par les maîtres. Cest que, bon gré mal
gré, notre enseignement actuel demeure fidèle aux pratiques "
inventées " par la Renaissance !
Sous la plume du Père Nadal, confident de St Ignace et un de ses grands
inspirateurs pour les premiers collèges, voici un cours idéal
au XVIme siècle :
"Voyez ce professeur dans sa chaire ; tout en parcourant et signant
les cahiers (les prises de notes de la veille) , il fait réciter les
leçons....
Puis un élève lit les leçons du lendemain, et chacun peut
poser des questions et demander des explications que tantôt donne le maître
ou quil fait donner à quelque élève ..."
Le professeur distribue ensuite les travaux corrigés de la veille (les
devoirs écrits, qui étaient réalisés chaque jour,
à la fin de la journée, pendant " lheure détude
").
Arrive alors la correction collective de ces travaux, cest ce qui prend
le plus de temps. Cette correction terminée, le professeur dicte les
exercices à faire pour " conforter la correction ".
Puis il " donne son cours " et les élèves prennent
des notes sur leur cahier.
La dernière demi-heure, enfin, est occupée à traduire la
page de latin ou de grec que les élèves ont préparée
à la maison.
N.B. Les cours, au début des collèges, duraient de 1h à
2 h.
UN COURS DE LATIN EN 1708
Si le contenu des cours a peu changé entre le XVIme siècle et
le XVIIIme siècle , on remarquera, par contre, que les pratiques ne sont
plus tout à fait les mêmes : au XVIIIme siècle, lélève
est appelé à beaucoup intervenir.
Le premier de la classe est "censeur" de droit. Cest lui qui
préside la première demi-heure de classe où on récite
les leçons.
Les "décurions" (premiers de groupes de niveaux) récitent
dabord au censeur .puis chaque élève récite à
son décurion.
Cela fait, et qui prend un certain temps, le Régent entre en classe :
il fait réciter le censeur et quelques élèves choisis au
hasard .... Puis chacun, sous la dictée du régent, corrige les
fautes "dont les livres sont emplis" (sic).
Un des premiers de la classe fait alors la prélection (il lit à
haute voix la règle ou le texte à expliquer ce jour-là).
Un autre élève (qui a préparé davance) explique
les difficultés pour les moins habiles.
Le régent développe alors lexplication et les élèves
prennent des notes. Sans cesse, au cours de sa prestation, il questionne les
élèves : celui-là doit décliner un nom ou conjuguer
un verbe, cet autre traduire un exemple, etc.....
Puis le régent choisit une phrase du texte, il lexplique mot pour
mot puis en demande une traduction à ses élèves. Chacun
la fait sur son cahier, puis on corrige, et chacun peut comparer avec ce quil
avait fait, il écrit dans la marge ses erreurs.....
Et lauteur conclut : "On peut ainsi aisément corriger toute
une classe !"
(Ne pas oublier que les classes, alors, comptaient entre 80 et 100 élèves
! ! )
LA DISPUTE
Pendant des siècles (tout le Moyen Age et jusquau début
du XXme siècle), la "dispute" a été un
des exercices favoris des écoles...... Les jésuites sen
firent les champions ! Véritable duel intellectuel et verbal, cétait
un excellent exercice !
Cavait été le grand exercice du Moyen-Age : "on
dispute le soir, on dispute le matin, avant dîner et après dîner,
on dispute sans cesse ! ! " Les écoles médiévales
en effet usaient et abusaient de cet exercice !
Des six heures quotidiennes que comportaient les écoles médiévales
(!), les jésuites nen retiennent quune !, sous la forme du
" cercle " pour les plus grands, (1 h le soir après
les cours)et de la " concertation " pour les petits et les
moyens (1/2 h à la fin de chaque demi-journée).
Mais à côté de ces " heures officielles ",
les régents avaient toute liberté dorganiser des disputes
dans leurs classes, et à Avignon " ils le faisaient volontiers,
dit le chroniqueur, car les élèves avaient le goût du verbe
! " .
Ainsi voici un conseil de " petite dispute " à organiser
en classe. :
" Nommez deux élèves pour " disputer " lorthographe
du thème latin. Chacun en lira la moitié et pourra intervenir
dans la lecture de son adversaire, et celui qui aura le mieux assigné
lorthographe sera victorieux ".
Au collège dAvignon au XVIIIme siècle existait un véritable
tournoi de disputes ! Tous les 8 ou 15 jours, et cela sur 2 ou 3 mois, avaient
lieu pendant 48 h des disputes inter-classes. Les régents déterminent
un sujet 8 ou 10 jours avant, afin que les élèves se préparent.
Le jour venu, les élèves disputent sur deux classes, 10 contre
10, selon leur Ordre (groupe de niveau dans la classe) en sinterrogeant
mutuellement. (On appelait ces groupes de 10 des " bandes "
ou des " provinces ", les élèves y étaient
très soudés, et ce devenait de véritables "clubs
de copains" qui saffrontaient lors des jeux de récréation
... parfois vivement !)
"On permet à chaque décurion (1er dun groupe de
niveau) de faire une courte harangue pour animer sa province au combat. Chaque
fois quun des 10 élèves fait une faute, il quitte le jeu,
et ceux qui nen ont pas fait restent pour le lendemain. Celui qui reste
en fin de 2me journée remporte le prix, et sil en reste plusieurs
le prix est tiré au sort " .
Au fait, sur quoi "disputaient" ces jeunes élèves
d il y a 200 ou 300 ans ?
"On dispute sur tout ! sur lhistoire, la géographie, ou
le catéchisme, mais surtout sur les auteurs et la grammaire (entendez
: le latin et le grec), sur des phrases choisies, écrites sur des billets
quon tire au sort, sur des noms difficiles et des verses anormaux, sur
les concordances et les prétérits, sur des phrases choisies de
Ciceron avec explication grammaticale de chaque mot ! ... "
LES " EXERCICES EXTRAORDINAIRES "
On a dit que les Jésuites sétaient fait les champions de
la " dispute " . Au delà de cet exercice classique,
qui nétait pas leur apanage, ils étendirent considérablement
la pratique des joutes orales, sous toutes leurs formes et dans toutes les circonstances
On lit dans le Ratio : " Parmi les devoirs du régent est celui
de faire paraître ses élèves en public... "....
" Cest un moyen de les rendre attentifs en classe, car ils savent
que le public sera juge de leurs connaissances, et on les accoutume ainsi à
parler en public et à surmonter leur maladresse....... On leur donne
une honnête hardiesse indispensable pour qui ambitionne une vie dans la
société... "
Forts de ces conseils, les régents multipliaient ce genre de prestations
quon appelait " Exercices extra-ordinaires " .
Voyons ce quil en était au début du XVIIIme siècle
au collège dAvignon.
Tous les samedis, a lieu un " petit exercice dentraînement
" devant la classe : des élèves désignés
déclament " un beau poème, une fable dEsope, la
vie dun saint,... ".
Tous les deux mois, 8 à 10 élèves soutiennent "
une petite thèse " devant une autre classe . " Ainsi
en fin dannée (pour les prix), et en toutes occasions et solennités,
les élèves sont déjà dégrossis et se produisent
sans honte au public ".
Au départ, ces " prestations " se faisaient en latin
ou en grec. Puis on les fit en français (et à Avignon parfois
en Italien.... pour honorer le Légat).
Avignon fut un des collèges qui conserva le plus longtemps la tradition
dorigine . Le dernier exercice public en latin eut lieu en 1714, alors
que dans beaucoup dautres collèges on y avait déjà
renoncé.
La " CHRIE " a été le grand exercice de générations
délèves, du XVIme au XVIIIme siècle. De quoi sagissait-il
?
Cétait le développement en 6 ou 7 parties dun fait
réel ou supposé, ou dune citation, avec :
introduction, thèse et antithèse (ou causes et conséquences),
exemples, témoignage personnel, et conclusion ; avec " une transition
bien ménagée entre chaque partie ".
On pouvait intervertir des parties à condition de " se justifier
".
Bref, il sagit de la dissertation, restée jusquà ces
dernières années reine de notre enseignement !
LES EXAMENS
Aussi redoutables que le Baccalauréat aujourdhui, des examens sanctionnaient
le cursus de lélève des anciens collèges. Sils
ne se déroulaient pas tout à fait comme aujourdhui, on y
trouvait déjà les deux pratiques de lécrit et de
loral ; fidèle à lesprit de lépoque,
la partie orale tenait une place majeure.
Cétait, comme aujourdhui, la terreur des élèves
!
Chaque fin dannée, le dernier jour dAoût, avait lieu
" lexamen de passage " dont les résultats ne seraient
dévoilés qu au retour des vacances, 2 mois après
! (On partait en vacances le 1er Septembre, et on rentrait le 30 Octobre !)
Pour sentraîner à cette redoutable épreuve avaient
lieu pendant lannée deux
"Examens de Semestre" (un à Pâques, et un en Juillet
).
Comment cela se passait-il ?
Tout se passait en deux jours :
- Une première journée où les élèves composaient
par écrit, sur une épreuve unique : le thème latin (parfois
aussi sur une dissertation).
- Une seconde journée avec deux épreuves de 1h _ chacune, une
le matin et une laprès-midi.
Les élèves se présentaient par groupe de 10 devant une
table où siégeaient 5 examinateurs ( le Régent et les 4
meilleurs élèves de la classe pour les examens semestriels ; le
Recteur, le Préfet et deux régents pour lexamen de fin dannée).
-1ère Epreuve, le matin. Chaque élève lit à haute
voix le brouillon de son thème latin (dont le jury possède les
copies.
Chaque examinateur met une note sur son cahier : A = Bene (Bien) B = Mediocriter
(Moyen) C = Male ( Mauvais) D = Pessime ( Très mauvais ! !)
-2me épreuve, laprès-Midi. Même scénario que
le matin, mais chaque élève est interrogé sur lexplication
des auteurs, lhistoire sainte et profane, la géographie.
Pour les examens semestriels, le régent proclame les résultats
en classe , et les cours reprennent aussitôt après lexamen.
Pour lexamen de fin dannée, les résultats ne
seront connus quà la rentrée, comme on la dit, et
il est suivi de la Distribution des Prix et de la grande Fête de fin dannée
(musique, ballet, théâtre ....)