L’ENSEIGNEMENT

 

A propos de l’enseignement les anciens collèges jésuites faisaient ce qu’ils voulaient , ou plutôt brodaient sur ce que voulait la Compagnie : tout en respectant une trame de fond, chaque collège adaptait ses programmes, ses horaires d’enseignement, et même ses manuels. Il en est tout autrement des nouveaux collèges du XIXme siècle : ils doivent suivre les mêmes programmes et horaires, utiliser les mêmes manuels que les lycées d’état, et si au début ils ont encore maintenu quelques singularités, ils n’ont pas pu les tenir longtemps. C’est donc dans l’esprit et la façon d’enseigner que se situera désormais leur originalité.

10 années, 9 classes, de la 8me à la Philosophie (qu’on fait en 2 ans), telle est la scolarité que proposent les nouveaux collèges. Au début, comme dans les anciens collèges, la classe de Rhétorique (notre actuelle 1ère) est l’aboutissement de tout le système. Les deux années qui suivent sont des "perfectionnement" et on fait successivement une année de Philosophie et une année de Mathématiques - Physique, mais l’essentiel, c à d un niveau élevé de Lettres et la maîtrise parfaite du " bien dire" et du " bien écrire " ont été acquis en rhétorique. Mais très vite les exigences du baccalauréat d’état vont modifier ces perspectives : la philosophie est réduite à une année au choix, sciences ou philo, et plus que l’année où l’on philosophe c’est surtout celle où l’on prépare son bac.
Quant à la Rhéto, autrefois " reine des classes ", elle devient la simple antichambre du baccalauréat.

Dans toutes les classes on enseigne toutes les matières avec l’apparition (encore un peu timide) des langues vivantes. En théorie le latin et le grec restent les matières reines : on commence le latin en 8me et le grec en 5me. Mais les jésuites ne peuvent que limiter leur dépérissement programmé : si dans les anciens collèges on parlait couramment les deux langues cet usage n’est maintenu qu’en philosophie " où on baragouine plus qu’on ne parle ", et dans toutes les autres classes désormais on parle français.

Des anciens collèges, on avait gardé au début un goût forcené pour les vers latins et leur déclamation. Mais il faudra vite déchanter : si autrefois acteurs et public suivaient bien et se régalaient, maintenant personne ne comprend plus rien et le collège d’Avignon sera le dernier à donner une tragédie en latin ..... C’était en 1857. Mais que ce soit en latin comme autrefois ou en vulgaire français, les " exercices publics " (lectures, déclamations ) restent très prisés. On y exerce les élèves de tous âges partout : en classe, au réfectoire, à la chapelle. Tous les samedis matin ont lieu les " sabbatines ", grandes joutes oratoires interclasses, et bien sûr la déclamation est au programme de toutes les fêtes publiques dans la " Salle des exercices ".

La lecture personnelle est comme autrefois très favorisée mais la nouvelle coutume des internats a permis de l’exclure des heures de cours officielles : les élèves vont à la bibliothèque pendant leur " temps vacant " mais leurs maîtres leur " demandent des comptes " ( Fiches de lectures ou récit de sa lecture devant toute la classe).

Par contre, programmes officiels mais aussi nouvelle mentalité de l’époque obligent , on a complètement rayé les " arts d’agrément " (théâtre, danse, musique, dessin) si prisés dans les anciens collèges !
" On ne leur donnera que des parcelles de temps dérobées au délassement.... "
" On tolérera que ce qu’on ne peut empêcher ...... "
" Il faut bannir toute activité qui pourrait donner à nos élèves des airs mous, efféminés, ou passionnés "

Tels sont les nouveaux conseils donnés aux Recteurs des collèges. Par contre une nouvelle matière plus " virile " est introduite dès les petites classes : l’escrime, et les " sports " (une mode récente venue des collèges anglais et américains) font leur entrée officielle dans les programmes.

LE NOUVEAU RATIO
Dès la fondation des premiers collèges au XVIme siècle, la Compagnie de Jésus avait établi un ensemble de règles et de "trucs" pour bien enseigner, contenus dans le " Ratio Studiorum " ( Règlement des études ). Les nouveaux collèges vont se re-approprier ce Ratio, et il continuera d’animer en partie leur enseignement.
La suppression de la Compagnie de Jésus pendant un demi siècle a marqué une profonde rupture . Désormais on utilisera les termes " d’ancienne Compagnie " pour désigner les trois siècles d’avant la suppression, et " d’anciens collèges " pour désigner les établissements qu’elle tenait alors.
Ces établissements fonctionnaient selon des règles simples et pratiques mais fondamentales, regroupées dans un document officiel paru en 1599 : le Ratio Studiorum (règlement des études) dont on peut s’accorder à dire qu’il contenait l’essentiel de la pédagogie telle quela voyait St Ignace.

Lorsque la Compagnie est rétablie, en 1814, 50 ans se sont écoulés et la nouvelle génération de Jésuites n’a pas connu les anciens collèges ni le Ratio Studiorum ( certains ignoraient même son existence !)
Jeunes et sans aucune expérience, ils doivent pourtant faire face à la réouverture accélérée de nombreux collèges ( il ne restait en France que 7 pères de l’ancienne Compagnie, dont 5 allaient disparaître presque tout de suite ! C’était bien fragile pour établir de nouvelles bases éducatives ! ).
En 1817, dans l’urgence, le Provincial de France charge un père (le P. Loriquet) d’établir un " Plan d’études " qui sera appliqué à tous les nouveaux collèges. C’est sur ce plan, mélange de souvenirs du Ratio et de pratiques nouvelles copiées des lycées impériaux que vont fonctionner désormais les collèges jésuites.

Le Ratio n’est cependant pas complètement oublié et la compagnie s’efforcera même désespérément d’y revenir :
- Dès 1820, le Provincial le fait diffuser dans tous les collèges français.
- En 1829, le P Général nomme une commission internationale pour étudier le texte d’origine et l’adapter aux exigences nouvelles. A cette occasion tous les pères des collèges sont invités à " le relire attentivement et fournir leurs observations ".
- En 1832, la commission ayant fini son travail de révision , tous les pères reçurent la nouvelle mouture du Ratio.
En fait cette mouture n’avait pas grand chose de nouveau, sinon au niveau des programmes ( on introduisait les langues vivantes et les sciences par la grande porte) mais pour le reste le vieux Ratio du temps de St Ignace était apparu trop bien ficelé pour qu’on puisse le retoucher sans dommage.
Ce fut donc le " Plan d’études " du P. Loriquet qui servit concrètement dans les nouveaux collèges. Le Ratio, lui , restait l’idéal pédagogique de la Compagnie, " ce qu’elle aurait aimé faire si elle avait été libre de son enseignement comme jadis " mais elle ne l’était plus ! L’avantage fut au moins que toute la nouvelle Compagnie avait lu et potassé le Ratio, et il en resta forcément quelque chose ( et même pour certains secteurs beaucoup de choses ! ) dans l’esprit et les pratiques pédagogiques des nouveaux collèges.

 

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