DES COLLEGES DIFFERENTS

Première différence : Uniformité et variété
Seconde Différence : Internat et Externat, Démocratie et Sélection sociale
Troisième différence : Education aristocratique, Education bourgeoise
Quatrième différence : La place donnée au Théâtre.



Fidèles à l’esprit de leur fondateur, les Jésuites ont toujours épousé leur siècle. Les " nouveaux collèges ", créés après la restauration de la Compagnie, reflètent donc leur époque, le XIXme siècle prude et autoritaire, bien étriqué en comparaison des XVIme et XVIIIme siècles dont les valeurs animaient les anciens collèges.
Les contemporains de ces " nouveaux collèges " en furent-ils conscients ? A Avignon en tout cas on appelle toujours l’ancien collège le " Grand Collège ", comme si on avait conscience qu’il surpassait la nouvelle création du XIXme siècle !


Les nouveaux collèges de la Compagnie ressemblent aux anciens sans leur ressembler : ils en ont gardé certains usages mais le cadre, l’esprit et les façons de faire ne sont plus les mêmes.
D’abord parce que désormais tous les collèges sont des internats (on disait " Pensionnats ") alors qu’au contraire tous les anciens collèges étaient des externats, et l’ambiance des uns et des autres est forcément différente.
Ensuite parce que les temps ont changé , en France en particulier : après la Révolution et le Premier Empire prévalent partout, dans les familles, à l’école, une ambiance sévère et autoritaire avec des formes volontiers " militaires ".C’est le " triomphe de la vertu " si cher aux révolutionnaires, et celui de " l’ordre et du sérieux " chers à la bourgeoisie, classe qui désormais est aux commandes de la société. Et les collèges jésuites vont suivre ce mouvement.
L’interruption d’un demi-siècle a facilité les choses : la nouvelle génération n’a pas connu les anciens collèges, elle ignore même le Ratio Studiorum qui réglait leur pédagogie. Les " nouveaux collèges " seront donc vraiment nouveaux.


LES DIFFERENCES

Première différence : Uniformité et variété.

Les anciens collèges étaient très divers, "de royaume à royaume, de ville à ville, tous étaient différents" . C’est exactement l’inverse avec les nouveaux collèges : l’uniformité est désormais la règle , les "coutumiers" propres à chaque collège ne portent que sur des détails et un élève peut passer sans problème d’une maison à l’autre, d’un bout de la France à l’autre. On le reprochera beaucoup aux Jésuites qui autrefois formaient des élites régionales vigoureusement originales et désormais, à l’image de la France Napoléonienne Centralisée, forment une élite uniforme. Un des symptômes est l’acharnement qu’on met alors dans les collèges à faire perdre leur accent régional aux élèves !

Seconde Différence : Internat et Externat, Démocratie et Sélection sociale
Les anciens collèges étaient foncièrement démocratiques. C’était des externats entièrement gratuits et, selon la tradition médiévale, " publics ", où se côtoyaient dans les mêmes classes jeunes nobles et fils d’artisans ou même de paysans. Une seule condition était en effet nécessaire pour fréquenter alors les collèges de Jésuites : être un minimum doué pour des études et avoir envie d’en faire !
Exactement à l’inverse les nouveaux collèges sont des internats, souvent très chers et donc réservés aux classes aisées. A Avignon par exemple, "l’archevêque a imposé le prix le plus élevé, avec défense de recevoir aucun élève en dessous de ce prix, ceci afin de ne pas vider son petit séminaire, écrit le P Provincial en Octobre 1850, et il conclut :c’est ainsi que nos seigneurs les évêques entendent eux aussi la liberté de l’enseignement !". Il n’empêche que le collège d’Avignon n’accueillera que les enfants des familles les plus riches de la ville et de la région et sera , contrairement à l’ancien collège, " réservé aux gens bien ".
Ce n’est cependant pas de gaieté de cœur que la Compagnie s ‘était soumise à cette nouvelle formule de collège si contraire aux volontés de St Ignace. Au début on avait même essayé de revenir aux externats gratuits comme autrefois (à sa création le collège d’Avignon a fonctionné ainsi pendant un an). Mais c’était une gageure impossible à tenir dans les nouvelles conditions. Désormais donc tous les collèges de la Compagnie seront payants.

Troisième différence : Education aristocratique, Education bourgeoise.

Les anciens collèges, qu’ils s’adressent à de jeunes nobles ou à des enfants d’humbles familles, proposaient toujours une éducation humaniste et aristocratique : " Faire des hommes à la fois raisonnables et sensibles, capables de faire toutes choses avec élégance et comme en se jouant, même les plus difficiles ".
Les nouveaux collèges du XIXme siècle sont loin de cet idéal ! L’éducation humaniste et aristocratique est passée au placard, c’est désormais une éducation bourgeoise et virile qui prévaut : non content d’avoir maintenant les enfants sous la main 24h sur 24, et quasiment 360 jours sur 365, avec un régime disciplinaire mille fois plus contraignant qu’autrefois, on a considérablement rogné tout ce qui n’était pas travail scolaire.
Et dans cette portion congrue laissée aux " distractions " on a trié vigoureusement ; on a une peur bleue de tout ce qui pourrait inciter les enfants à la liberté ou à la sensibilité : " C’est un devoir pour les maîtres comme pour les parents de viriliser ces générations délicates "..... " Je ne veux plus voir de ces collèges " à l’ancienne mode " où l’on donne trop au confortable et où les divertissements tiennent une trop grande place ".


Quatrième différence : La place donnée au Théâtre.
Le théâtre, si prisé dans les anciens collèges, et dont le Ratio avait parfaitement mesuré tout l’intérêt et les bienfaits, va être le grand perdant de ce nouvel esprit (bien entendu la danse et la musique avaient été , elles, jetées aux oubliettes !). Au théâtre on substitue la déclamation et les " séances publiques d’académie " (joutes oratoires).
Lettre du P. Bouffier, recteur du collège d’Avignon en 1856 :
" Les pièces de théâtre sont juste bonnes à entretenir les préjugés du public à l’égard de nos maisons et de l’éducation qu’on y donne, elles entraînent une perte de temps considérable, montent fâcheusement les imaginations des élèves et leur donnent des goûts peu conformes au sérieux des études ". Réponse du Père Roothan, Général : " Je vous félicite d’avoir résisté aux instances de vos pères, mais vous pouvez cependant accorder de temps en temps un divertissement à votre petit peuple de pensionnaires ". Le théâtre restera donc à titre de " distraction préférable à d’autres ".

CONCLUSIONS ET NUANCES
Qu’ont donc gardé les nouveaux collèges ?
- La haute tenue de leurs niveaux d’études avec l’insistance sur les langues anciennes et les lettres.
- Leurs méthodes d’enseignement et de travail personnel
- L’utilisation de l’émulation
- Une solide formation chrétienne et l’incitation aux oeuvres de piété et de charité
Mais ils ont perdu :
- leur vocation démocratique
- leur éducation humaniste et leur vision de l’homme (et du coup l’abandon d’activités qui faisaient leur marque de fabrique : la musique, les arts, le théâtre.
- leur esprit de fantaisie et de liberté

Et ils ont introduit, en éléments nouveaux :
- une sévère discipline
- une vie austère d’internat
- un renforcement considérable du travail scolaire
- une virilisation de l’éducation et des activités : sports, escrime, remplacent la musique et le théâtre.
Nuances.
Il ne faudrait cependant pas imaginer les nouveaux collèges comme des bagnes. Certes , conformément aux goûts de l’époque et à l’idée qu’on se fait alors de l’éducation, la discipline y est quasi militaire et le travail scolaire écrasant (on accusera beaucoup les Jésuites, à cette époque, de " forcer " leurs élèves), mais il n’y avait pas que ça ! . Les Jésuites, disent leurs détracteurs, savaient mieux que les autres dorer les barreaux de la cage :

Dès 1820 le père Provincial (Simpson) a rétabli le " chômage du jeudi " qu’on pratiquait dans les anciens collèges et institué les " grands congés " (des journées d’excursion ou de détente à la campagne).

Tous les collèges ont en effet une " maison de campagne " où on amène régulièrement les élèves. On y aménage des bassins de baignades, des terrains de ballons, des salles de jeux (grande innovation : dès 1825 on fait de la natation aux Cascades St Marc , la maison de campagne du collège d’Aix).
En dépit des réticences de leurs supérieurs beaucoup de pères restent passionnés de musique ou de théâtre : à Avignon par exemple en 1864, un père a monté un orchestre d’élèves et les concerts publics du Lundi Gras sont très courus. Dans la plupart des collèges on organise des fêtes trois fois dans l’année (la veille du Jour de l’an, pour la fête du P. Recteur, et pour la fin de l’année) , mais la préparation de ces fêtes est strictement prise sur les temps de récréation et les grands élèves en sont exclus.
Les cérémonies religieuses sont une autre forme de distraction, particulièrement lors de grands événements comme les Canonisations des Saints de la Compagnie, mais le concours de crèches à Noël, la procession de la Fête-Dieu, le " pèlerinage ", ( grande promenade pieuse de fin d’année ) sont aussi autant de réjouissances.

A Avignon en 1870, chaque classe a adopté une famille pauvre et lui porte tous les jeudis les fruits et friandises que chacun a économisé sur ses desserts. Certes on ne peut guère flâner en route (un surveillant ou un grand chaperonne ces sorties charitables) mais c’est quand même une occasion de sortir des murs du collège et de prendre un peu l’air du monde extérieur.
Tout n’est pas inhumain dans ces " collèges-caserne " du XIXme siècle : dans beaucoup de collèges (Avignon par exemple) existent les " zélés " (des élèves volontaires pour accueillir les petits nouveaux et leur " adoucir l’entrée au pensionnat "). Les Pères spirituels sont là pour " humaniser le collège : on peut toujours se confier à eux et ils ont le souci de repérer les problèmes et les détresses".

 

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